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Crise laitière, un point de vue des alternatifs

Devant la baisse persistante des cours du lait, la mobilisation des éleveurs laitiers européens pour une vraie politique de régulation du marché ne faiblit pas. Dans une conjoncture politique et syndicale difficile, les producteurs de lait ont engagé en France et dans plusieurs pays européens une lutte emblématique pour leur revenu à court terme et à long terme, avec en toile de fond, la réforme de la PAC de 2013 et la bataille, toujours d’actualité, entre libéralisme et sauvegarde de l’agriculture familiale.

Devant la baisse persistante des cours du lait, la mobilisation des éleveurs laitiers européens pour une vraie politique de régulation du marché ne faiblit pas. Un nouveau temps fort a été le rassemblement des producteurs européens de lait à Strasbourg, le 14 juillet lors de l’ouverture de la nouvelle session du parlement européen, à l’initiative de la Coordination Européenne Via Campesina (EC VC) et de European Milk Board (la coordination à l’initiative d’une grève du lait en Allemagne et en Belgique surtout durant l’été 2008). Dans une conjoncture politique et syndicale difficile, les producteurs de lait ont engagé en France et dans plusieurs pays européens une lutte emblématique pour leur revenu à court terme et à long terme, avec en toile de fond, la réforme de la PAC de 2013 avec la bataille, toujours d’actualité, entre libéralisme et sauvegarde de l’agriculture familiale.

Emblématique, cette lutte l’est à double titre

D’une part, parce que les producteurs laitiers sont encore très nombreux en Europe : 2,5 millions de fermes, soit une ferme européenne sur 5, et en France (93 000). Ce qui est en jeu ici, c’est le maintien d’un tissu serré d’exploitations avec des jeunes qui s’installent sur des structures de taille familiale, ou bien une évolution similaire à celle du secteur porcin : une restructuration drastique au gré des hauts et des bas du marché laissé à lui même, avec la constitution de méga fermes intégrées par les banques et les transformateurs. Cela est la vision des Danois par exemple (mais aussi des responsables syndicaux et politiques néerlandais ou allemands du Nord et de l’Est…), et ce n’est pas un hasard si la Commissaire actuelle à l’agriculture et au développement rural, Marianne Fischer-Boel adhère pleinement à cette vision.

D’autre part, parce que l’évolution du marché des produits laitiers est caractéristique des dégâts du laisser-faire sur les marchés des produits agricoles. Flambée des cours mondiaux des poudres de lait, du beurre et des fromages à des niveaux jamais atteints en 2007 jusque début 2008, puis effondrement en dessous même des cours de 2006. Depuis un certain Gregory King (sorte d’intendant de la Couronne d’Angleterre au tout début du XVIIIème), on sait que tout décalage dans l’offre de produits alimentaires se traduit par des soubresauts beaucoup plus importants des prix, à la hausse ou à la baisse. Mais les ultralibéraux préfèrent ne retenir qu’une loi émise un siècle plus tard par Ricardo (« Loi des avantages comparatifs »)…

Forte chute des prix et des revenus dans un contexte de dérégulation du secteur laitier

L’année 2008 a été relativement faste pour les producteurs laitiers spécialisés français qui ont maintenu leur revenu contrairement à l’ensemble de la ferme France (le revenu moyen agricole a baissé d’environ 20 % par rapport à 2007). Si la hausse des prix du lait a été plus tardive en France par rapport aux autres pays européens, du fait de la méthode de fixation des prix en vigueur jusqu’à l’été 2008, la chute a aussi été beaucoup plus brutale. Ainsi, on est passé de 314 € les mille litres (proche des 330 € du coà »t estimé) au cours de l’hiver à 227 €, soit une chute de -27 %. A ce prix là , seuls les coà »ts des plus compétitifs sont couverts, mais SANS AUCUNE rémunération du travail. En outre, les investisseurs récents (en particulier les jeunes qui viennent de s’installer) sont alors dans l’incapacité à faire face à leurs annuités  [1].

Cette baisse brutale de revenu, devenu négatif pour la plupart des producteurs dans un fort contexte de volatilité des prix des produits et des intrants, est d’autant plus mal perçue par les producteurs qu’elle résulte de la réforme de 2003 qui a amplifié le démantèlement des outils de la politique laitière : réduction des instruments d’aide à la stabilisation des prix, hausse progressive des volumes autorisés (quotas). Surtout, cette conjoncture très défavorable s’inscrit dans la perspective de suppression complète des quotas à l’horizon 2015, qui a déjà commencé avec l’augmentation graduelle de ces quotas depuis l’an passé. Ces évolutions ont fortement contribué à la volatilité et à la grave chute des prix lors des variations intra ou extra européennes : hausse de la production ou baisse de la demande, dans un marché très rigide, (par exemple, un excédent de 1 % se traduit tendanciellement par une baisse de 3 % du prix à la production). Pour les producteurs, il s’agit donc de sauver leur revenu de 2009 et leur avenir et celui de la profession. Par contre, pour les décideurs européens, il s’agit de dénoncer encore davantage les derniers outils de régulation et de donner davantage de place au cadre libéral.

Une forte mobilisation sur fond de crise et de division syndicale

En France, depuis la mi-mai, de nombreuses actions ont été menées selon deux stratégies différentes :

- La FNSEA, axée sur le maintien d’une interprofession laitière (largement démonétisée par les conséquences du dernier accord rendant le prix encore plus sensible au contexte international) et sur la critique des marges des distributeurs, a conduit quelques actions dans les grandes surfaces pour dénoncer leurs marges et revendiquer la transparence, aidée en cela par le gouvernement.

- La Confédération Paysanne, axée sur un prix rémunérateur avec une nouvelle grille interprofessionnelle de détermination du prix, le maintien des quotas mais à un niveau réduit pour éviter tout excédent a conduit des actions diversifiés. Cela a été de l’action symbolique (inscription d’une vache au pà´le emploi à Rodez), aux manifestations plus classiques, à Rennes, Saint-Étienne, Strasbourg … en passant par des blocages de laiteries, des « déstockages », une intervention à l’Office de l’élevage pour demander le gel de 3 % d’allocations supplémentaires …

Pour l’instant aucune de ces stratégies n’a gagné : l’accord du 8 juin (prix de 280 €, avec des flexibilités selon la situation des laiteries…) présenté par la FNSEA comme un certain succès évitant le pire, n’a pas convaincu sa base, d’autant qu’Entremont qui collecte 1/3 du lait breton s’est tenu à l’écart de cet accord en raison de sa propre crise ; cà´té Confédération paysanne, le succès n’est pas non plus au rendez-vous, puisque depuis le départ de Michel Barnier du ministère, plus aucun ministre ne défend les quotas au sein du Conseil européen de l’agriculture.

Cette situation peut s’expliquer par le contexte politique après l’échec des gauches aux élections européennes, au poids des lobbies agroindustriels et alimentaires, à la division syndicale en France et l’absence d’unité claire chez les producteurs européens. La Confédération Paysanne (CP), dont la base syndicale est affaiblie par l’abandon plus ou moins forcé de la production laitière par une partie de ses adhérents et sympathisants, n’a pas réussi une large mobilisation au-delà des ses propres cercles alors que la FNSEA avait pourtant déçu les siens par l’accord du 8 juin. En outre, une part croissante des producteurs laitiers adhérents à la CP ont choisi des niches de marché, telle la vente directe ou les filières bio, jusqu’alors très peu touchées par la crise. Cette stratégie s’avère payante individuellement pour le moment, mais n’aide que marginalement à la définition d’une stratégie syndicale globale.

C’est dans ce contexte, qu’une autre force syndicale s’est implantée en France : l’APIL (association nationale des producteurs de lait indépendants). Elle adhère à l’EMB (European Milk Board) très implanté en Allemagne et présent, semble-t-il, dans 15 pays. Il se positionne pour une grève du lait à l’échelle européenne. L’APIL, présente dans le grand Ouest, est proche de la Coordination rurale.

Une victoire très incertaine

Pour l’instant, la seule avancée en France est l’engagement pris par les pouvoirs publics de publier les informations sur l’évolution des prix des produits et donc des marges tout au long des filières. L’association « UFC-Que choisir » a commencé à diffuser de l’information. Mais cette avancée peut constituer une victoire à la Pyrrhus : les variations saisonnières compliquent l’observation et l’interprétation et on peut aussi faire confiance aux distributeurs pour trouver la parade comme il l’ont fait suite aux autres restrictions. Plus grave encore, cette avancée ne garantit en rien des prix stables et rémunérateurs - condition du maintien d’une paysannerie laitière nombreuse - socialement et écologiquement utile. Il s’agit bien d’une concession libérale, du type « renard libre dans le poulailler fermé hébergeant des poules libres » : puisque vous disposez tous de la même information, vous êtes à égalité et …laissez le marché faire le reste.

Le théâtre se poursuit aussi sur d’autres propositions ; ainsi les ministres allemand et français, dans leur lette à la Commission, s’accordent pour la suppression des quotas, plaidant pour une régulation des marchés par les outils du stockage et l’intervention. On sait bien ce que donnent ces outils en interne et en externe sans maîtrise et répartition de l’offre.

Crise laitière et réforme de la PAC

Il est clair qu’avec cette crise, conséquence de la réforme de 2003 pour rendre la PAC encore plus « OMC compatible », se joue une répétition générale de la réforme de 2013 qui va être engagée dès l’année prochaine. Dans le contexte politique et économique actuel, le tout libéral semble sà »r de gagner, y compris avec quelques mesures sur la transparence, la gestion des marchés (le libéralisme n’est pas l’absence de règles).

Certes, le système des quotas devait de toutes façons être amélioré et intégré dans une autre politique plus globale pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. En effet, les quotas laitiers européens souffrent de grosses faiblesses originelles.

- ils ont été conçus en 1984 pour des raisons budgétaires (stocks excessifs de poudres et de beurre pour l’intervention) et non pas en conclusion d’un long débat public comme au Canada par exemple.
- ils ont figé la répartition de la production sur des bases historiques par pays, sans aucune politique des structures à l’échelle européenne : ils n’ont pas empêché la constitution de méga fermes au Danemark ou au Royaume-Uni, et ont favorisé une restructuration drastique dans les pays du Sud et de l’Est de l’Europe en particulier.
- basés sur l’histoire, ces quotas ont empêché des pays déficitaires au départ (Italie, Espagne, Pologne, Roumanie…), le plus souvent à cause de leurs structures largement basées sur l’autosubsistance, d’augmenter leur production au moins au niveau de leur consommation intérieure. Il ne faut donc pas s’étonner que ces pays, alliés naturels pour des politiques agricoles régulées, ne soutiennent pas cet outil politique aujourd’hui.
- enfin, et c’est sans doute la faiblesse principale de ce système, ces quotas européens ont été fixés entre 109 et 111% de la demande européenne : c’est à dire qu’il est nécessaire d’exporter structurellement 9 à 11% de la production sur les marchés internationaux. S’il ne s’agissait que de fromages haut de gamme (type Parmesan ou Comté), destinés à une clientèle riche, cela ne poserait pas de problème. Mais il s’agit surtout de poudres et de beurre qui sont directement en compétition avec celles de pays exportateurs plus compétitifs, comme la Nouvelle-Zélande : c’est une des raisons pour lesquelles le marché européen ne peut pas actuellement s’abstraire des conditions du marché international, si on admet que les subventions à l’export ne sont pas de bonne politique (à cause du dumping qu’elles font subir aux producteurs des pays pauvres).

Les quotas laitiers européens constituent donc un mode de régulation largement imparfait. Mais, une fois de plus dans l’histoire de la Politique Agricole Commune, on peut craindre que l’on jette le bébé avec l’eau du bain.

Seule une mobilisation conjointe des producteurs et des citoyens européens pourrait imposer une autre politique agricole et alimentaire. Il ne faut pas se leurrer, il se joue là et maintenant une des batailles fondamentales pour le futur de la PAC !

Michel BUISSON

Emile ROCHON

Stéphanie CABANTOUS

[1] On a pu noter que les aides directes attribuées aux producteurs de lait au cours des années 2003-2004, (35,5 € par tonne de droit à produire, soit environ 10 % du prix de l’hiver 2008-2009) pour compenser la baisse des prix attendue suite à la réforme de 2003, n’ont été évoquées par personne. Belle démonstration de la stupidité des aides découplées ; en effet certains bénéficiaires de ces aides peuvent avoir cessé la production laitière, donc être insensibles à la baisse alors que d’autres auront investi davantage pour récupérer les quotas disponibles, (notamment par la reprise des terres chargées de droits à produire) et être très dépendant des baisses de prix ...


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