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OMC : la machine à libéraliser sans fin, même ralentie, continue à Hong-Kong

Les partisans de la libéralisation intégrale n’ont pas obtenu tout ce qu’ils souhaitaient mais ce sont cependant eux les vainqueurs, USA, UE et multinationales réunis, au détriment des pays pauvres, des services publics et des paysanneries.

Ce texte doit beaucoup aux différents mails reçus de Hong-Kong. Merci à Anne-Françoise TAISNE, à Raoul Marc JENNAR, à Fabrice FERRIER, à Frédéric VIALE et quelques autres.

Un accord en principe impossible, finalement obtenu à l’arracher

Début décembre, avant la conférence ministérielle de l’OMC qui vient d’avoir lieu du 13 au 18 décembre à Hong-Kong, un double discours prévalait : d’un cà´té volonté d’éviter à tout prix un nouvel échec, après ceux de Seattle en 99 et de Cancun en 2003, conduisant à ce qu’aucun pays ou groupe de pays ne souhaite être à l’origine de l’échec ; de l’autre, beaucoup de pessimisme chez certains (les pro libéralisation) et beaucoup d’optimisme chez d’autres (les Altermondialistes) en raison des nombreuses oppositions aux propositions de l’OMC de la part de divers pays. Par exemple, Pascal Lamy a du refaire sa copie avant le début de la conférence et, au cours de celle-ci, cinq versions du projet d’accord ont été nécessaires avant signature.

Comment un accord aussi déséquilibré et contradictoire avec les nécessités du développement (voir encadré) a-t-il était possible ?

En effet, l’UE et les USA n’ont pratiquement rien cédé en matière agricole et industrielle et ont gagné beaucoup en matière de services. Les promesses pour les PED sont très vagues et difficiles à mettre en œuvre si on en juge par le bilan du Traitement Spécial et Différencié (TSD) de l’accord de 1994. Les exceptions pour les PMA (Pays les Moins Avancés) ne répondent pas du tout à leurs besoins ni à ceux de la majorité des PED (Pays En Développement) : déjà très (trop pour certains) ouverts, ils revendiquent des prix stables et suffisants pour leurs exportations et des protections efficaces dans le cadre d’un tout autre rapport Nord/Sud, fondé sur la souveraineté alimentaire et l’autonomie des Etats en matière de services publics.

De concessions mineures (fin des subventions à l’export, coton, « avantages » pour les PMA) en promesses douteuses (produits spéciaux ...) selon les versions, plus de fortes pressions dans des conditions très difficiles pour la plupart des PED, les pays dominants et l’OMC ont réussi à obtenir cet accord grâce à une entente surprenante car totalement inattendue de 120 pays du Sud regroupant des pays agro-exportateurs du G-20 emmenés par le Brésil et les pays pauvres du G-90, plus quelques pays en situation intermédiaire du G-33. L’Inde, sans doute pour les services, a comme le Brésil joué un grand rà´le dans cette entente paradoxale tant les intérêts y sont divergents. Finalement, les deux « villages gaulois », le Venezuela et Cuba ont cédé sous la pression. En fait, le seul intérêt de ce regroupement est pour ses membres de faire ensemble contrepoids à l’UE et aux USA pour tenter d’obtenir davantage de concessions. On touche là un des biais provoqués par le fonctionnement de l’OMC, tout accord supposant des « concessions réciproques » ... en fait majoritairement aux détriments des plus faibles.

Les grandes lignes de l’accord(sans souci d’exhaustivité)

- Agriculture : les pays en développement reçoivent une promesse, pouvoir protéger leurs produits d’importance vitale pour eux (voir ci-dessous), contre une très faible réduction des aides des USA et de l’UE, les fameuses subventions à l’exportation, qui ne constituent qu’une faible partie des moyens de dumping et d’ici 2013 ! Apparemment, rien dans l’accord concernant la réduction des protections (droits de douanes et équivalents) ; c’est peut-être ce qui fait dire à Chirac que la PAC est sauvée.
La partie concernant le coton est particulièrement scandaleuse : seule la fin, en 2006, des subventions à l’exportations des USA a été obtenue alors qu’il s’agit d’une décision de l’Office des règlements des différents (ORD) et que ces aides ne sont qu’un faible partie du problèmes pour les pays africains producteurs. Il leur est aussi accordé des facilités d’exportation alors que la question principale pour eux est celle du prix.

- Produits non agricoles (NAMA), y compris produits de la pêche et de la forêt : ces produits qui avaient jusqu’ici échappé à la baisse des protections entrent eux aussi dans la danse avec un taux unique pour tous (sauf PMA et des flexibilités à voir) ce qui pénalise davantage les pays les moins développés dont les taux sont les plus élevés. Par exemple, pour une baisse imposée de 20 % des droits pour un produit, une industrie du Sud protégée par un droit de douanes de 50 % verra ce droit passer à 40 % alors que la même industrie du Nord avec des taux de 5 % verra ce taux passer à 4 %, soit un changement sans importance pour elle.

- AGCS : il est désormais possible de contraindre les Etats à libéraliser une partie de leurs services dans le cadre d’engagements bi ou plurilatéraux ensuite multi latéralisés. De plus, les délais fixés sont très courts (projets de listes finales fin octobre 2006 !).

- développement : on se rappelle que le cycle en cours est celui de DOHA débuté en 2001, dit « cycle du développement » !. A Hong-Kong encore beaucoup de promesses et quelques règles spécifiques pour les pays en développement (PED) et surtout pour ceux d’entre eux qualifiés de moins avancés (PMA). Les PED se voient ouvrir la possibilité de protéger certaines (20 % ?) de leurs productions au nom de la sécurité alimentaire et du développement rural. Mais rien n’est défini pour ces catégories de « produits spéciaux » ou de « mécanismes spéciaux de sauvegarde ». Surtout, les flexibilités prévues par l’accord AGCS de 94 ne sont pas confirmées pour les PED. Les PMA « bénéficient » de nombreuses exemptions : ils ne sont tenus à des engagements que si leur situation le leur permet, par exemple pas d’obligation pour l’AGCS, accès au marché des autres pays sans droits jusqu’à 97 % des produits (agricoles et industriels) en provenance des PMA,...

Et maintenant ?

Cet accord constitue pour les forces alternatives à la libéralisation une défaite grave, d’autant plus difficile à supporter que la mobilisation a été encore plus forte que d’habitude qu’il s’agisse des manifestations entraînées par les infatigables et décidés paysans Coréens ou les oppositions, contre-propositions et autres expertises des diverses ONG ou organisations syndicales, paysannes mais pas uniquement. Par exemple, un large rassemblement paysan allant d’organisations membres de Via Campesina à d’autres proches de la FNSEA s’est constitué pour une conférence de presse dénonçant le contenu des propositions.

Tout cela, indispensable, n’a donc pas suffi. Les formes tribunitiennes pendant les réunions de l’OMC (manifs, conférence de presse, séminaires ...) sont donc à compléter. Sans doute faut-il encore davantage, comme cela a été réalisé pour le cas du coton de l’Ouest africain pour Cancun ou à d’autres occasions, intervenir en amont des conférences pour aider les Etats des pays pauvres à construire des propositions inacceptables par les libéraux et empêchant donc tout accord. Cela demande aussi l’engagement à l’échelle nationale et internationale de forces politiques jusqu’ici trop absentes de ces luttes.

A court terme, cette stratégie peut bénéficier du fait que cet accord soit largement à confirmer et à préciser. Ce qui a été signé à Hong-Kong et qui a valeur d’accord international est en fait un accord cadre a minima à préciser au cours de 2006 avec sans doute un sommet en juin à Genève. La question est alors la suivante : les pays engagés par cet accord pourront-ils revenir en arrière, au moins indirectement ? Juridiquement difficile, ce retour en arrière serait totalement justifié aux plans économique et politique, tant ce qui a été signé et qui risque de l’être constitue un accord en trompe l’œil et très déséquilibré.


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